Critica Paradiso

Chungking Express

de Wong Kar Wai

Revenir au panorama Cambriolages

Synopsis :

Matricule 233, policier de Hong Kong, teste les limites d’une rupture amoureuse. Ayant prévenu sa copine de revenir vers lui avant le 1er Mai, il achète chaque jour des ananas en boîte qui se périment à cette date. L’ultimatum passé, il noie son chagrin et son indigestion au Chungking bar où il rencontre une mystérieuse femme portant imperméable, perruque et lunettes noires. Cette soirée n’est que peu romantique en raison de la fatigue de cette trafiquante de drogue menacée de mort suite à l’échec d’un échange. Matricule 633, policier de Hong Kong, teste les limites d’une rupture amoureuse. Une deuxième histoire commence, un autre policier qui sort d’une autre rupture. Chaque jour, l’homme achète deux repas au Midnight Express pour que sa copine choisisse, un jour il n’en prend plus qu’un. L’hôtesse de l’air s’est envolée pour toujours laissant une lettre douloureuse avec sa clé, message que le policier ne veut pas ouvrir. La serveuse timide, Feng, à qui le flic confie la lettre en profite pour réparer le cœur de cet homme qu’elle aime en mettant de l’ordre chez lui quand il n’y est pas.

Critique :

On trouve dans ce film une construction unique, deux parties qui ne sont pas des chapitres ou des histoires entièrement différentes. En effet, les deux sont subtilement liées à commencer par le titre du film, « Chungking Express », une juxtaposition des deux lieus de rencontre. Cependant, ces lieux sont encore plus étroitement mis en parallèle avec un chiasme dans l’histoire. Le chunking bar est un lieu de rencontre pour le premier, mais un lieu de fin pour l’autre et, inversement avec le midnight express : un point de départ pour l’histoire d’amour du deuxième mais un lieu de réconfort après ses ruptures pour le premier. C’est même dans ce fast food que se fait la transition, matricule 233 dit en voix off « Six heures plus tard elle est tombée amoureuse d’un autre », l’autre étant matricule 633. Cette similarité se retrouve évidemment dans les situations , deux policiers sortis de ruptures qui se consolent comme ils peuvent, par exemple en achetant, l’un des boîtes d’ananas l’autre des cafés. On voit les deux d’abord exprimer leur nostalgie, notamment par ces achats compulsifs, puis se faire entraîner dans une nouvelle histoire. Ce qui est particulièrement entraînant est ce jeu des similarités mais aussi des différences, différences qu’on s’amuse à trouver dans des oppositions. À titre d’illustration, le rapport à leur métier de policier, le premier est introduit dans une course poursuite au ralenti tout en restant rapide tandis qu’on ne voit jamais le deuxième faire ses rondes qui semblent tout sauf animées. L’opposition majeure qu’on retrouve est dans leur rapport aux femmes, matricule 233 répète qu’il va tomber amoureux bientôt. Au contraire, matricule 633 est plus discret, on ne l’entend pas en voix off exprimer ses désirs, on ne sait pas tout à fait à quel moment il tire un trait sur son ancienne histoire, est-ce quand il commence à aider régulièrement Feng ? Est-ce simplement quand il range le costume d’hôtesse de l’air dans un carton ou est-ce à la fin, un changement d’opinion soudain quand il va au Chunking bar avouer son amour ? Finalement, cette complexité des sentiments portée par le peu de dialogues s’annule dans les actes finaux de chacun. On comprend que les deux sont libérés grâce à leur nouvelle activité qui prouve qu’ils sont sortis de la boucle pénible du regret après une rupture. Le premier va de l’avant grâce à la course et le deuxième change radicalement d’uniforme en ouvrant un restaurant. Le premier trouve sa fin en acceptant la solitude et le deuxième s’épanouit en connectant avec son amour pour Feng. Ce film qui semble plus viser la splendeur esthétique que la morale transmet toutefois un message, chaque homme à trouvé son bonheur en surmontant le rapport aux femmes que lui avait donnée la rupture.

Il semble cependant facile d’oublier le point de vue de ces dernières en raison de leur absence en termes d’amantes dans la première partie. De fait, on ne sait rien de l’histoire, de l’identité ou des pensées de cette femme en imperméable mais une chose est certaine, elle n’est absolument pas amoureuse de matricule 233. Sa présence dans l’histoire apparaît donc plutôt comme un ressort tragique (le meurtre qu’elle commet) voire comique (sa « date de péremption » fixée par son ancien employeur est la même que les ananas du policier). Se reposer sur ces conclusions serait négliger le personnage le plus porteur d’amour de ce film, Feng, qui malgré sa timidité fait tout pour entrer dans la vie du policier ayant, sans le savoir, facilement forcé l’accès du cœur de la serveuse. Cette dernière est toujours accompagnée de la chanson California Dreamin’, comme si la ventriloquie faisait fonctionner l’enceinte du fast-food. En effet, Feng ne parle pratiquement jamais, et on apprend seulement à la fin que son rêve est d’aller en Californie, la chanson étant un indice de plus qui ne fut pas saisi. De fait, malgré les demandes d’aide récurrentes, les longs regards et cette menace d’un départ pour les États Unis, l'enquêteur pourtant méfiant (surtout envers les femmes suite à sa rupture brutale) ne se doute pas qu’il a une chance à saisir, et rapidement. Le cambriolage, cette intrusion, devient un moyen d’entrer dans la vie privée de l’aveugle matricule 633, un acte illégal plein de romantisme évidemment pardonné par les spectateurs et le représentant de l’ordre.

L’histoire devient burlesque lorsqu’un appartement, un robinet laissé ouvert et un savon remplacé deviennent les intermédiaires de cette histoire romantique. A travers ses séances de ménages de moins en moins discrètes, Feng finit, en même temps qu’être prise en flagrant délit (l’apogée de sa maladresse) par réussir à dépoussiérer le cœur du policier. Massage et sieste platonique à ses côtés sont les récompenses des efforts de la ménagère cambrioleuse : c’est le début d’un dénouement heureux à la manière de Wong Kar-Wai.